Lundi 29 mai 2017, de 21hà 23h à la Haute-Piece – Rencontre de Valère AKTOUCHE-BRUSSAC autour de « Marinaleda, ethnologie d’une utopie en crise »

C’est au cours d’un cursus en science politique et des voyages qui l’ont rythmé que Valère Brussac-Aktouche s’initie à l’Anthropologie. La méthode de l’observation-participante propre à cette discipline, la liberté qu’elle offre au chercheur quant au choix de son objet d’étude, et la réflexivité qu’elle encourage, ont attiré, puis fixé ce jeune chercheur dans son orbite.

C’est par l’intérêt qu’il porte aux expérimentations sociales et sociétales qui militent pour ne pas se résigner à vivre dans une société telle qu’on l’a connaît, mais pour essayer de la créer telle qu’on la rêve, que Valère Brussac-Aktouche décide d’étudier un concept aussi beau que flou : l’Utopie.

Pour tenter de lever une partie du brouillard qui entoure ce terme il recherche lors de voyages, lectures, rencontres, une utopie. C’est à dire une société, un village, un groupe de personnes qui pense avoir érigé la société dont ils rêvaient. Par une méthode inductive il espère ainsi comprendre ce que recouvre ce concept, ce qu’il signifie pour ceux qui le vivent, comment ils l’ont atteint, et qu’elles en sont les défis.

L’Utopie qu’il identifie est celle du village de Marinaleda. Quel est donc cette « oasis coopérative dans un monde néolibéral », cette « utopie anti-crise », ce « village 100 % en autogestion », ou encore ce « phalanstère andalou4 dans une Espagne en crise » ?

Alors que le mot utopie inventé par Thomas Moore renvoie étymologiquement au non lieu, au lieu qui n’existe pas, voici qu’on lui promet une « visite au coeur d’un paradis terrestre ». L’utopie est enfin arrachée des livres de fiction pour se matérialiser dans un village de 3 000 habitants, en Espagne, entre Séville et Cordoue, et ce depuis 35 ans.

Un village andalou « sans police ni curé », dirigé depuis le début par son « indéboulonnable et charismatique maire » : Juan Manuel Sanchez-Godrillo. Un village au slogan évocateur « une Utopie pour la paix », et des informations qui semblent le confirmer : pas de chômage, tous gagnent la même chose (homme ou femme, cadre ou ouvrier), des loyers à 15 euros par mois, une garderie pour 12 euros par mois (avec le repas !), une maison de retraite gratuite, etc. Le tout régi par une démocratie directe qui se matérialise à travers les assemblées générales ou « tout le village décide de tout».

Est-il possible de réaliser une société utopique sans être sur une île ?

Les habitants de Marinaleda semblaient démontrer que oui, en Espagne, au milieu de l’Andalousie, sur une terre frappée d’une violence rare par la crise économique de 2008.

Mais en y arrivant en février 2015 c’est un autre village que celui décrit dans les articles qu’il trouvait. Les premiers habitants rencontrés dans les bars étaient tous au chômage, on lui racontait que la situation avait changé, que « les temps sont durs ». Personne ne savait quand aurait lieu la prochaine assemblée que l’on présente pourtant comme hebdomadaire, il en était de même pour les Domingos rojos, ces journées de travail volontaire pour entretenir le village, et jusqu’aux luttes qui ont rendu le village célèbre semblaient s’être arrêtées. « Todo esta parado », s’entendait-il répéter.

Lui qui s’était créé une représentation idyllique à travers les différentes sources qu’il avait eu à sa disposition (livres, articles, documentaires), il n’avait pas envisagé que ce serait le terme de crisis qui s’imposerait dans son carnet de terrain. Cette crise qui occupe, colonise nos journaux, nos discours politiques, nos discussions de comptoir et finalement jusqu’à notre imaginaire, semble avoir fini par coloniser cette Utopie.

A travers cette recherche il cherche donc à comprendre ce moment crucial de l’histoire du projet utopique de Marinaleda, « el peor momento ! », d’après les habitants. Ce moment ou ils sentent disparaître ce qu’ils ont non seulement rêvé, mais surtout conquis.